Souvenirs peints. A la ville.

Trou de mémoire

Prologue : Trou de mémoire

Ce trou de mémoire, c’est comme le puits dans « Alice au pays des merveilles » : dedans tourbillonnent des vues du vieux Saint-Etienne avec ses crassiers et ses cheminées d’usines, un distributeur de sable dans un square, la photo du père de Nicole avant sa naissance, une crèche et un palmier en papier Canson faits par sa mère, Rurik un chien Samoyède… et au fond du trou, sur le sable, ont atterri plus ou moins de guingois, le poêle Godin au bout du couloir 13 rue de Balzac, le vieux fauteuil et sa housse, Médaillette la poupée, la grand-mère et la mère comme des statues d’argile prêtes à se briser…

Rurik : Je me souviens de l’arrivée de ce poupon criard dans la chambre… Il parait que j’avais une tête stupéfaite ! Je cherchais le regard de ma maîtresse, couchée dans son lit, semblant lui dire : « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? »

La soupière auvergnate : Moi, monsieur, je suis réparée et recollée, je ne sers plus la soupe, je trône sur les buffets.

La tortue Emile Mac Pilule : Je suis sourde, je suis sourde, laissez-moi dormir dans le sable…

Les Nouveaux Larousse Illustrés du grand-père (1907) : Nous regrettons mais nous ne proposons pas dans nos locutions, au mot trou, de « trou de mémoire » ; par contre, nous avons : « trou de loup », « trou à fumier », « faire un trou à la lune », etc., page 1.141 du volume 7 « Pr-Z », et nous proposons aussi de très belles planches en couleurs instructives, comme les planches « Océan » du volume 6 et les plan…

Les chats : Assez !

Des feuilles trop tranquilles

Acte 1 : Des feuilles trop tranquilles

Scène 1

Place Marengo à Saint-Etienne. De gros tas de feuilles mortes sur le trottoir.

La petite Nicole : Une feuille morte de platane, tachée de jaune, de vert et de brun, c’est très beau… mais quand elles se rassemblent en tas, c’est qu’elles ont une idée derrière la tête : accrocher les vêtements de leurs doigts griffus, grimper le long des jambes, dévorer…

Scène 2

Surgit dans la rue de Balzac, un couple de charcutiers, roses et lisses comme des bébés dans leurs blouses blanches immaculées, peut-être le frère et la sœur tant ils se ressemblent.

Maman : La cathédrale Saint-Charles en rillettes ! Quelle idée ! C’est laid, c’est ridicule !

La petite Nicole (pour elle-même) : Si, c’est joli !

Maman : C’est comme ces grenouilles en crème rose et verte, c’est écœurant, comment peux-tu avaler ça ?

La petite Nicole : C’est bon ! Et aussi les longuets avec des bâtons-crème !

Scène 3

Pendant ce temps, au cinéma « l’Alhambra » à l’angle de la rue Praire, au moment des réclames.

Louis XIV : Mon bon Vatel, ne te désespères pas ! Si les victuailles ne sont pas arrivées, nous ferons des pâtes, les excellentes Pâtes Millat Frères, en vente dans toutes les bonnes épiceries !

A l’Alhambra, les publicités Jean Mineur se terminent toujours par cette phrase enregistrée (avec l’accent stéphanois) :

… Et l’agence Havas, place de l’Hôtel de Ville !

Mais comme cette fois c’est Harold Lloyd qui l’a dit dans un film muet, personne ne l’a entendu.

Le fantôme de la robe organdi

Acte 2 : Le fantôme de la robe organdi

Scène 1

Au Jardin du Rond-Point.

Tante Zulma : Allons-nous asseoir, j’ai pris des tickets pour louer des chaises. J’ai les jambes qui me rentrent dans le corps !

Madame Laurençon (qui parle depuis l’appartement de la rue de Balzac) : Il y en a qui sont fatiguées de naissance ! Vous pourriez m’aider à astiquer le fourneau… Rendez-vous utile, grosse dondon !

Tante Zulma (écarlate) : QUOI ?

Orson (Welles) : Non ! Ne l’énervez pas !

Nicole (conciliante) : Quand j’étais toute petite, je venais jouer ici, au Jardin du Rond-Point, et je demandais aux autres enfants : « Tu en as une, toi aussi, une robe organdi ? »

Madame Laurençon (depuis la rue de Balzac) : Peuh ! C’était du plumetis !

Tante Zulma (au bord de l’explosion) : Attention ! Je vais me fâcher !

Chœur des têtards (dans un fossé) : Aux abris ! Fuyons !

Orson (essayant de faire diversion) : Et si nous allions au cimetière Saint-Roch voir les petites chapelles, parfois elles ne sont pas fermées…

Scène 2

Au cimetière Saint-Roch, le soir, avec le chien Mouton pas rassuré.

Nicole : Que j’aimerais bien m’installer dans une de ces petites maisons avec un vitrail !

La porte verte

Acte 3 : La porte verte

Scène 1

Rue de Balzac, sous les toits de l’immeuble.

Le bonhomme Michelin (voix confidentielle) : Très belle porte verte qui débouche sur un vaste grenier où sont conservées quelques revues artistiques (« The Studio ») du grand-père. On ne manquera pas d’admirer les deux illustrations de contes, par Kay Nielsen, qui y ont été découpées… On notera dans le coin à gauche une antique poupée (d’une lointaine Tante Marie... ou Eugénie…) d’une facture un peu raide… La comparer à la poupée espagnole que Grand-mère Duon dispose sur son lit et… mais que fait-elle ici ? Ce n’est pas sa place dans le grenier ! Enfin… On découvrira aussi des études de tissus de Maman…

1er cochon (coupant la parole à Bibendum) : Nous sommes chargés d’apprendre à lire en racontant nos aventures : « Je suis allé dans la forêt ramasser des glands, glandi-glanda ! »

2ème cochon : « Et moi, je les ai moulus, mouli-moula ! »

Les deux cochons rient, tandis que dans un coin sombre du grenier, deux pirates sortis de « L’île au trésor » les écoutent.

Long John Silver (d’un ton mauvais) : Et un petit rôti de porc, ça te dirait, Chien Noir ?

Chien Noir (beuglant) : Et yo ho ho, et une bouteille de rhum !

Scène 2

La petite Nicole et Dédé-Cotin sont discrètement montés au grenier. Trois personnages du Roman de Renart passent par-là, l’air de rien.

Tybert le chat : Faisons semblant de lire, ne les regardez pas, ils vont jouer au docteur…

Ysengrin le loup : Soyons discrets.

Le bonhomme Michelin (continuant son monologue) : … des gouaches sur papier calque, des couvercles Art Déco pour des poudriers en carton, un marin en caoutchouc qui…

Renart le goupil : Chuuut !

Le bonhomme Michelin (voix encore plus basse) : … on se retirera sur la pointe des pieds, après un dernier coup d’œil à cet ensemble charmant et coloré.

La panthère qui rit

Acte 4 : La panthère qui rit

Scène 1

Rue de Balzac, dans la cuisine. On a remonté le temps, Nicole est vraiment toute petite. Elle joue à l’eau. Elle ne dit rien, absorbée par son jeu. Ce sont les personnages des histoires qu’on lui a racontées qui parlent pour elle.

Bagghera : Je ne ris pas du tout ! Je bondis dans la classe, toutes les gamines sont épouvantées et la maîtresse impressionnée ! Ensuite nous partons ensemble pour des aventures lointaines et mystérieuses, mais je suis là pour la défendre…

Quipic le hérisson : Vous ne comprenez rien ! Nicole ne rêve que d’un grand jardin enclos, avec une serre et des légumes bien alignés.

Bagghera (continuant du même ton exalté) : Nous allons rejoindre Durga Rani, la Reine des Jungles… qui ressemble un peu à Maman…

Quipic : C’est trop dangereux, la jungle ! Allons plutôt ramasser des mûres dans une gandole, le long des chemins.

Le sucrier, « Madame Bertrand », semble tout à fait d’accord.

Scène 2

Sur le rebord de la fenêtre vient de sauter une forme noire et rose.

La chatte Meumeune (d’un ton glacial) : La prochaine fois qu’on me met ce bonnet et cette robe, je griffe ! Vous voilà prévenus…

Les placards n'ont pas de secrets

Acte 5 : Les placards n’ont pas de secrets

Scène 1

Rue de Balzac, dans le salon. Les chats de la maison mènent une joyeuse sarabande dans le placard.

Les 3 chats (d’une seule voix) : Voici les habitants du placard : Les premiers hommes sur la Lune, La jument verte, Jim Barnett alias Arsène Lupin, L’inspecteur Béchoux, Le Horla, Les tripodes de la guerre des mondes, La femme et le pantin, Poil de Carotte, La voleuse d’enfants des bords du Rhin, La demoiselle aux yeux verts…

Le joker (à part) : Je les ai à l’œil, ces chats. Ils aiment rentrer dans les placards pour y déchiqueter des papiers, je les surveille.

Les 3 chats (unanimes) : C’est pas un bouffon de cartes à jouer qui va nous faire peur !

Scène 2

Nicole, d’une autre pièce, espionne ce qui se passe dans le salon.

La petite Nicole (tout bas) : J’ai vu, mais ça devait être un rêve, Grand-Mère Antoinette (ou plutôt Etteniotna, dans le bon sens) ouvrir un tiroir secret, caché dans les montants de la cheminée, pour en tirer plein de pièces d’or… Et il y a longtemps, j’ai vu — mais est-ce possible ? — une cheminée de maison accrochée dans les lignes électriques, quand nous sommes allées voir le quartier Saint-François, après le bombardement.

Maman (qui sort de sa chambre pour entrer dans le salon) : C’est agaçant, je ne trouve pas de poudre de riz dont la couleur me convienne, il faut que j’en mélange deux…

Les cacodines

Acte 6 : Les cacodines

Scène 1

Retour dans la cuisine. Grand-mère somnole sur sa chaise pendant que Nicole arrache les pages d’un livre qu’elle jette dans le fourneau.

Le lièvre (s’adressant au président Auriol) : Vous allez comprendre : en fait, le héros de l’histoire n’est pas là ; c’est un chien nommé Noix de Coco et ce petit sot cherche un ami (c’est le titre du livre que Nicole déchire : « Noix de Coco cherche un ami »)… Ce sot de chien donc n’est jamais content : le singe est trop farceur, le héron n’a pas de conversation, etc.

Le héron : Glop… Glop…

Le lièvre : Oui. Et moi, il paraît que je suis trop peureux pour faire un vrai ami !!

Vincent Auriol : Voulez-vous me lâcher le bras, à la fin !

Le lièvre : Monsieur le Président, je vous connais, j’ai vu votre photo dans l’Almanach Vermot ; il y a aussi des blagues, comme dans les papillotes. (Le lièvre soudain surexcité et hilare) Celle-ci par exemple : alors c’est un petit vieillard en costume marin et on dit : « Lui, ça fait 40 ans qu’il présente les costumes garçonnet ! » Ouaf, ouaf !

L’ours (voix ensommeillée) : Je sais que la petite est déçue parce que Noix de Coco n’a pas pu rester avec moi. Je ne supporte pas quand on bouge tout le temps, je veux dormir TRAN-QUILLE !

Le hibou : Il a fini par trouver un ami, votre chien : un gentil campeur ; alors c’est un Happy End, non ? En attendant, c’est la grand-mère qui va se faire gronder quand Maman rentrera : « Brûler-un-livre ! Et tu l’as laissée faire !!! »

Vincent Auriol (agacé) : Quelqu’un aurait-il la bonté de m’expliquer le titre ?

Le singe : Moi je sais, m’sieur, je sais : ce sont les petits croissants de lumière là-haut sur le plafond, au-dessus de la lampe ! Nicole était toute petite et elle voulait dire « les coquillettes ».

Tout ça pour ça

Epilogue : Tout ça pour ça

Rurik (encore lui) : C’est un titre fort bien trouvé ! Tout ce monde… pour finir à cette gamine…

Le chat Manouche : Deux chiens… je reste sous ma chaise… Et l’autre avec son manteau de pluie en toile cirée !! On aura tout vu ! Moi, je n’habitais pas dans les quartiers bourgeois, moi je sortais et je ramenais des souris que j’offrais à la patronne. Tous ces oncles, tantes, grands-pères, grands-mères, ça m’indiffère… Il y a un de ces fatras ici ! des herbes, des bouquets, une armoire de poupée, un « jardin japonais »… pff…

Souvenirs peints. A la campagne.

Etteniotna

Prologue : Etteniotna

Sur un chemin dans les collines surplombant la ville.

Les bœufs (en marrons et en allumettes) : C’est Etteniotna qui savait comment nous fabriquer, quand elle était petite et qu’elle quittait Murat pour la ferme de l’oncle Roudil, « le Gidour ». C’est là qu’elle s’était fait « courser » par un taureau et qu’elle en avait gardé une grande peur des vaches.

Le réchaud à gaz en alu : Moi, c’est l’autre grand-mère, Jeanne Duon, qui m’avait offert, avec des petits couverts en alu dans une boîte en bois.

Antoinette : Mais pourquoi mettre mon nom à l’envers, je vous le demande !

Saussac met son chapeau

Acte 1 : Saussac met son chapeau

A chaque « vacances-à-la-campagne », la petite Nicole devient l’amie d’une grand-mère qu’elle suit partout : porter l’herbe aux lapins, chercher des œufs dans les mangeoires et les granges…

Ici, à Pozedone près d’Yssingeaux, cette grand-mère lui a récité un dicton qu’on lui répétait quand elle était enfant :

Quand Saussac met son chapeau

Bergère, prends ton manteau.

Le bonhomme Michelin (sur sa borne) : Le suc de Saussac, altitude 1.149 m, on y accède à pied seulement ; un peu de géographie et de géologie : les sucs du Velay sont des dômes de magma volcanique visqu…

Na blanc, la vache (lui coupant grossièrement la parole) : Vous avez vu cette petite niaise qui a cru monter sur une butte de terre et a mis le pied sur une fourmilière !! Et que je trépigne ! Ça fait rire les autres gamines…

La Rousse : Ça ne pense qu’à s’amuser ! Et nous pourrions partir sur la route du Puy, ma chère, ça ne verrait rien !

La bataille de Chaubouret

Acte 2 : La bataille de Chaubouret

Maman et Nicole passent 15 jours (ou 1 mois ?) à l' « Hôtel Moderne » du Bessat. Assise dans un pré, près du col de la Croix de Chaubouret, Nicole a envie de faire se battre deux criquets. Elle en prend un dans chaque main et les pousse l’un contre l’autre jusqu’à ce qu’ils se cisaillent et s’entretuent…

La petite Nicole (vaguement mal à l’aise) : Maman, j’ai vu deux criquets qui se battaient, c’était affreux, a-ffreux !

1er bousier : Oulà ! Tirons-nous en vitesse ! Je n’aime pas les enfants qui font des expériences…

2ème bousier : Et en plus les montagnes volent par ici… Alarm, alarm ! On devrait prendre la D 63 et aller au Crêt de l’Œillon, il parait que la vue…

1er bousier : Ou la D 8G, vers le Crêt de la Perdrix, s’il y a une table d’orientation, on pourra se poser…

Ribouldingue au volant

Acte 3 : Ribouldingue au volant

En 1950, Maman et Nicole vont au Bessat en car, par la Départementale 8 qui passe par Rochetaillée et son château, par le barrage du Gouffre d’Enfer et sa vue panoramique, et par la Barbanche : 17 km, dont 5 de virages…

Les passagers (elles comprises) : Oulala ! Ah ! Ouh ! Hé ! Attention !

Les passagers habituels : Eh bien voilà ! Il est encore saoul !

Nicole et Maman : Glrp…

Dix ans auparavant, Maman avait pensé plonger dans le barrage avec la Simca 5 et le bébé… finalement non… l’eau était trop sombre, froide et immobile, avec tous ces sapins noirs autour. C’est un projet qui n’a pas abouti, heureusement ; ce n’était peut-être qu’un coup de cafard…

Léa et Tissou

Acte 4 : Léa et Tissou

Léa, une grand-mère que Nicole a connu plusieurs étés de suite à La Fayolle, avec son chien Tissou.

Léa : Ici, Tissarote !

Tissou (à part) : J’aime bien quand on va chercher de l’herbe pour les lapins, c’est une sortie…

Léa (pensant à elle quand elle était petite fille) : Quand j’avais sept ans, on m’a mise en pension dans une ferme pour garder les vaches, nourrie et logée en échange. Nous étions quatre enfants et mes parents n’étaient pas riches, ils avaient une petite ferme en allant vers Fay-le-Froid… Elle est abandonnée maintenant.

Tissou (ruminant des projets) : Je vais peut-être en profiter pour me sauver et aller courir la campagne toute la nuit, mais gare aux coups de fusil ! Ou bien je reste à garder les vaches et les chèvres avec Léa… Oui ! Et je te ferai galoper ce taureau jusqu’au fond du pré… surtout s’il y a la petite de la ville avec nous, elle n’aime pas trop quand le taureau remonte le pré en mugissant, pendant que Léa me crie après, ouaf, ouaf !

Léa : Ici, Tissarote, sala bestiau !

Le bois des dames

Epilogue : Le bois des dames

Le bonhomme Michelin (voix basse et en aparté) : Je me cache : je perds la mémoire, où diable se situait ce « bois des dames » ? Dans les Monts du Forez, vers le Puy ? Mais où exactement ? Il doit son nom à un monastère qui y fut construit en … ? Je suis désolé !

Marie Quinquin (la chienne qui se gratte) : Nous ne sommes pas restées longtemps à pique-niquer… pourtant l’herbe était fine et douce, ce n’était pas du vulgaire chiendent ; mais le bois était très très sombre, et il en venait un air froid. C’était presque inquiétant… Vite, nous avons quitté ces lieux (hantés ?) pour nous promener au soleil, dans les champs bordés de « dents de géants ».